ESTHER

Posté le par

Spectacle créé en partenariat avec le Mémorial du camp de Rivesaltes en mai 2023.

Esther

Spectacle d’après « La petite fillle du passage Ronce » d’Isabelle Ernot et Esther Senot

Adaptation de Marc Pastor

Esther Senot est une rescapée du camp d’Auschwitz-Birkenau. A quatre-vingt-quinze ans elle fait partie des derniers témoins du génocide. Depuis plus de trente ans, elle raconte inlassablement son histoire aux jeunes générations. Elle met en garde. Pour que cela ne se reproduise plus jamais.

Fruit d’une démarche artistique proposée par le Mémorial du camp de Rivesaltes et menée auprès d’Esther Senot, cette lecture-spectacle offre une approche sensible et profondément humaine de la mémoire du génocide.

En s’appuyant sur des textes extraits de La petite fille du passage Ronce (Isabelle Ernot, éditions Grasset), sur une rencontre avec Esther Senot et sur les nombreuses traces de ses témoignages, le spectacle dessine le portrait d’une femme libre. Une femme qui a subi l’horreur et l’absurdité de la solution finale, mais qui a su transformer ses souffrances en forces de vie. Et garder foi malgré tout en l’humanité.

Ce spectacle éponyme est beaucoup plus qu’un recueil de paroles. Il est le résultat d’une rencontre rare et précieuse entre la mémoire de l’indicible et l’expression artistique.

Équipe artistique :

Esther Senot

Adaptation et mis en scène : Marc Pastor

Interprètes : Evelyne Torroglosa, Marc Pastor et Nicolas Pichot

Création sonore et montage vidéo: Tony Bruneau

Création lumière : Natacha Räber

Assistant à la mise en scène : Harry Guilbaud – Gréffié

Photos : Marc Ginot

Administration : Edwige Ripamonti

Spectacle tout public à partir de 15 ans éligible au dispositif Pass Culture

Durée : 55mn

Genèse du projet :

En octobre 2022, Céline Sala, directrice du Mémorial du camp de Rivesaltes a souhaité rencontrer notre Compagnie. Dans un premier temps autour de notre dernier spectacle, À nos Ailleurs, dont les thématiques de l’exil et du déracinement résonnent avec les axes de réflexion et les expositions du Mémorial. Une programmation du spectacle pour la saison 2023-2024 est envisagée. Le Camp de Rivesaltes sur lequel est construit le Mémorial a servi successivement aux réfugiés espagnols fuyant la guerre d’Espagne, de camp de transit pour la déportation des juifs pendant la deuxième guerre mondiale, de camp pour les harkis en 1962… Le Mémorial retrace l’histoire dramatique de ce camp. C’est un lieu de mémoire. C’est aussi un lieu de réparation.

Au fil de notre rencontre, Céline Sala exprime sa volonté de mettre en place des résidences d’artistes à Rivesaltes. Elle nous offre La petite fille du passage Ronce. Un livre qui recueille le témoignage d’Esther Senot, une rescapée des camps de concentration. Esther avait 14 ans au moment de la rafle du Vel d’hiv. Une grande partie de sa famille est morte dans les camps. Elle, est revenue. Elle a aujourd’hui 95 ans et raconte inlassablement son histoire depuis plus de trente ans pour informer et mettre en garde les jeunes générations. Quelques jours après notre visite au mémorial, Céline Sala nous recontacte. Nous avons été bouleversés par la lecture du témoignage d’Esther Senot. Elle nous propose de travailler autour de ce témoignage. Une carte blanche. Peut-être une lecture théâtralisée ? Avec un musicien ? Les idées fusent. Voulez-vous rencontrer Esther ? Nous acceptons ce projet avec joie. Il est le prolongement du travail que nous avons entamé il y a quatre ans avec l’écriture d’A nos ailleurs. Rencontrer. Récolter une parole. La faire exister par un prisme artistique…Rendez-vous est pris pour rencontrer Esther à Paris. Émotion. Trac. Impatience. La date de notre présentation est fixée au 1er juin 2023.

EXTRAITS :

(Les extraits suivants sont tirés de « La petite fille du passage Ronce » d’Isabelle Ernot et Esther

Senot) :

Durant les premiers mois de l’année 1942, ma mémoire n’a pas fixé d’événements particuliers, sauf l’angoisse qui s’installe et distille doucement son poison. L’étoile jaune, je la porte à partir de l’obligation, en juin 1942. Il fallait la coudre sur nos vêtements. Toute la famille est concernée, même Achille. À dire vrai, cela ne m’atteint pas. Gamine, j’en mesurais mal la signification. Le 16 juillet 42, au petit jour, une agitation sous nos fenêtres nous réveille. Du passage, des cris montent. Ça gueule. Du premier étage, nous pouvons voir mais Maman nous demande de ne pas nous montrer. Des policiers (français) en uniforme, sans ménagement, font sortir nos voisins des habitations situées en face. Nous en connaissons quelques-uns, au moins de vue. La plupart sont polonais, comme nous. Le constat est vite fait : ils sont en train d’embarquer tous les Juifs et les valises emmenées font imaginer que ce n’est sans doute pas pour quelques heures.

Dans le camp de Birkenau, une longue perspective domine : d’un côté, le bâtiment d’entrée que l’on ne doit plus jamais franchir, de l’autre, on aperçoit la partie haute de deux grandes cheminées qui rejettent de la fumée. On pense à des bâtiments d’usine. Ce sont les chambres à gaz et les fours crématoires. On y arrive un jour ou l’autre. Le « cadavre » fait partie du camp, une chose : le matin, il faut les sortir des baraques, les regrouper pour qu’ils soient, dans la journée, emmenés vers les fours. Par ses conditions extrêmes, le camp fait mourir. Nous sommes très peu nourries et des bêtes de somme ; il y a le grand froid et l’on est peu vêtues ; il y a les coups et les raclées donnés par les prisonnières qui occupent des fonctions de pouvoir dans les Blocks ou les Kommandos de travail ; il y a les blessures ou les maladies auxquelles aucun soin n’est donné, sauf rare exception. Nous n’avons pas d’espace de vie parce que nous n’avons plus de vie. Les sélections organisées dans le camp sont une mise à mort. Les SS n’attendent pas qu’elle arrive, provoquée par le régime qu’ils nous infligent. Régulièrement, ils organisent l’élimination de celles et ceux que le camp a épuisés, devenus à leurs yeux des « inutiles », dans un système conçu pour détruire. L’épuisement, la détresse, la maladie finissent toujours par gagner.

Esther (Extrait tiré de l’adaptation de Marc Pastor)

On est en 1985. Esther et son mari, Jacques, sont à la retraite depuis peu. Après une vie parisienne, familiale et professionnelle bien remplie, ils ont décidé de s’installer dans le sud. A Saint Cyprien, précisément. Ils veulent profiter de cette nouvelle période qui s’offre à eux. Au cours de leur vie, ils ont visité́ plusieurs pays de l’Est mais jamais la Pologne dont Esther est originaire. Alors, quand une agence de voyage de Perpignan propose ce pays comme destination touristique, ils n’hésitent pas. Esther aime bien les pays de l’Est. Peut-être parce qu’elle est née dans une famille communiste, très militante, et que cette sensibilité́ ne l’a jamais quittée. Ça a d’ailleurs créé parfois de petites tensions dans le couple. Son mari, lui, est plutôt de droite. Gaulliste. Même après la mort du général, il a continué à voter pour lui ! En parcourant la brochure et le programme détaillé du voyage organisé en Pologne, Esther et son mari découvrent que plusieurs options s’offrent à eux : le deuxième jour, on peut choisir entre une soirée de danses folkloriques à Cracovie et la visite guidée du camp de Auschwitz-Birkenau ! La moitié du bus préfèrera d’ailleurs opter pour les danses folkloriques.

Pendant la visite d’Auschwitz, Esther ne dit rien. Elle ne connaît pas Auschwitz. Pourtant les photos, les objets, les témoignages placés dans les vitrines du camp devenu musée lui sont familiers. Elle écoute la guide polonaise d’une oreille presque distraite en prenant la mesure des lieux qui l’entourent. A l’extérieur, un silence impressionnant, le froid glacial, la neige…Un peu plus tard la visite se poursuit à Birkenau (Trois kilomètres plus loin…). Ici le rythme cardiaque d’Esther change. La guide explique que des centaines de milliers de polonais ont été massacrés ici même. Le mot juif n’ayant pas encore été prononcé depuis le début de la visite, Esther qui commence à trépigner dans son coin ne peut s’empêcher de faire remarquer à voix haute que 90% des victimes dont on parle étaient juives ! La guide ne relève pas et poursuit, décrivant la vie telle qu’elle s’est probablement déroulée dans le camp pendant qu’il était en activité. Pourtant rien de ce que cette femme raconte ne ressemble à la réalité.

Cette fois Esther explose :

Vous allez arrêter ça ! Ce que vous racontez n’est pas vrai !

Au milieu des visiteurs interloqués par l’intervention virulente d’Esther, la guide vexée, réplique :

Je suis guide, c’est mon métier, je sais de quoi je parle, vous êtes qui, vous, pour intervenir comme ça ?

Vous êtes peut-être guide, mais moi Birkenau, j’y suis resté seize mois, et ce que vous racontez n’est pas vrai. Ça ne correspond à rien. Quant au mot « juif » que vous ne prononcez jamais, il vous arrache la bouche ?

Quand ils comprennent qu’elle a été déportée ici même, les touristes qui participent à la visite incitent Esther à prendre la parole. Elle n’hésite pas longtemps. Après tout, ça fait déjà bien trop longtemps qu’elle hésite…

– Ok, donnez-moi ce micro, je vais vous raconter…

A cet instant précis, Esther brise quarante ans de silence… A cet instant précis, Esther ne le sait pas encore mais elle entame une prise de parole pour les quarante ans à venir. A cet instant précis Esther honore enfin la promesse qu’elle a faite à sa sœur ici même, la veille de sa mort : Témoigner, pour ne pas être les oubliés de l’histoire.

Isabelle Ernot :

Isabelle Ernot, historienne, œuvre depuis quinze ans au sein de l’Union des déportés d’Auschwitz où elle est responsable des projets autour de la mémoire de la Shoah. Elle a accompagné Raphaël Esrail pour L’espérance d’un baiser – Le témoignage d’un des derniers survivants d’Auschwitz (J’ai Lu, 2018) et Esther Senot, rescapée du camp de Birkenau avec La petite fille du passage Ronce (Grasset 2021).